Nous pouvons comprendre par cette phrase, qu’il admettait qu’une histoire de Blake et Mortimer soit dessinée dans un trait graphique différent que le sien. Aux lecteurs d’en faire de même.
Mais pour beaucoup, un Blake et Mortimer se caractérise par plusieurs critères : Un scénario abouti, maîtrisé de bout en bout qui ne laisse pas la place au hasard et qui peut nous faire avaler des couleuvres (Comme la pierre de Maspero). Les dessins sont fouillés, précis, chargés, mais clairs, des textes à profusion, une maitrise du noir et blanc et des couleurs qui enivrent la rétine.
Lors du rachat des Éditions Blake et Mortimer par les Éditions Dargaud, Ted Benoit et Floc’h sont pressentis pour collaborer et ainsi relancer la série. Finalement, Floc’h jettera le crayon très tôt laissant à Ted Benoit cet exercice casse-gueule… avec le succès que l’on connaît. Floc’h dira ne pas aimer les reprises.
« L’Art de la guerre » est un Blake et Mortimer version Floc’h. C’est une interprétation personnelle, même si scénarisé par deux auteurs de la série my(s)thique. Il ne faut pas chercher à voir le dessinateur tenter de dessiner « à la manière d’un Blake et Mortimer » ou « à la manière de Jacobs », mais bien à sa manière personnelle de Floc’h. En résumé, oublier le "Blake et Mortimer" historique, et découvrir la vision personnelle d' un autre auteur.
Il faut bien garder cela dans un coin de sa tête au fur et à mesure du fil des 120 planches. Et cela passe.
Quand on achète un album de BD, le lecteur regarde le dessin, si celui-ci est attirant, l’achat est bouclé et l’intrigue scénaristique est découverte à la lecture. Cet album est plus un Floc’h, une interprétation et vision personnelle de Blake et Mortimer.
La première planche est un recyclage de celle présentée il y a quelques années. Les couleurs choisies font d’abord penser à un défaut d’impression. (J’ai oublié que c’est à la manière de …)
Plus on s’avance dans la lecture, plus le dessinateur semble à l’aise, maîtrise les personnages et simplifie son trait de plus en plus afin d’y avoir le strict minimum à l’identification. IL n’y a rien de superflu, il y a même des planches où il n’y a pas de décors. Les héros conduisent une voiture, qui ne se ressemble pas d’une case à l’autre. Le seul point commun… les couleurs photoshopées. (à la manière de …)
Floc’h est un artiste pop-art marqué par les années 70, et cela se voit dans cet album. (Damned ! c’est à la manière de …) des grandes cases, des clins d’œil à Warhol. Et puisque l’on parle de clin d’œil, il y a aussi celui à Chaland.
Les pages sont composées de dessin de 4 cases, voire d’une demi-planche, des fonds uniformes qui jurent avec l’univers habituel de Blake et Mortimer. Pour le lecteur qui a oublié que c’est une interprétation très personnelle, la marche est haute. Imaginez un instant la couverture mythique de « la Marque jaune » avec un fond couleur brique sans les mille et quelques briques de dessinée ? Ce n’est pas le même effet.
Si les reprises se cantonnent à des histoires policières, Jacobs abordait un thème différent à chaque nouvel album. Mais il n'avait jamais essayé le thriller psychologique. Dans « L’Art de la guerre », Blake et Mortimer subissent plus l’aventure qu’ils en sont acteurs. Olrik se la joue manipulateur.
À la première lecture, l’album passe bien. Le scénario est fluide. À la deuxième, comme l’histoire est connue, on peut gratter. Pourquoi est-ce le capitaine Blake, chef du contre-espionnage britannique, qui fait un discours sur la paix ? Pourquoi voyagent-ils « incognito », alors que tout le monde sait qu’ils sont là ?
Et chronologiquement, entre quels albums « L’Art de la Guerre » pourrait-il s’insérer ?
Comme c’est un album à la manière de, plutôt de la nouvelle collection « Un autre regard sur Blake et Mortimer » …. C’est dans une énième chronologie parallèle. Mais, comme il y a des références à des aventures jacobsiennes.
La phrase « Par Horus Demeure ! » indique que l’histoire s’insère après « le Mystère de la Grande Pyramide ». Les questions posées par Blake à Olrik, permettent de savoir que cette histoire se situe après « La Marque jaune », si on ne se réfère qu’aux albums de Jacobs.
Si la Marque jaune se conclut en décembre 1953, l'Art de la Guerre ne peut se passer que l'année suivante.
Il n’y a pas de Tuesday 9 September en 1953, donc l'histoire se passe en 1954…
Si la Marque jaune se conclut en décembre 1954, la prochaine date correspondante repousse cette histoire en 1965 !
Pourquoi préciser si clairement cette date ? La ville où se passe l’action est New-York. En faisant attention aux récitatifs, le final de l’histoire se passe deux jours après… soit le 11 du mois. Les scénaristes détournent une date tristement célèbre pour mieux laisser le lecteur imaginer les dégâts que cela aurait pu faire sur le siège de l’ONU.
Hergé disait au sujet de la reprise de Tintin « Peut-être qu'il ferait mieux que moi, peut-être moins bien. Mais il le ferait autrement, et ce ne serait plus Tintin. »
Le lecteur, pour qui Blake et Mortimer, c'est Jacobs et rien d'autre, sera forcément déçu par le traitement infligé aux personnages. Le Lecteur qui lira cet album, comme une aventure de Blake et Mortimer, se fera sa propre impression. Mais, ce qui est certain, c'est que le lectorat de Floc'h sera enchanté. Et si cela peut amener d'autres lecteurs à la série Blake et Mortimer. Pourquoi pas ?