Jacobsien...
Est-il logique de publier de nouveaux albums après la mort de Jacobs ?
En quoi la nouvelle histoire s'inscrit-elle dans l'univers jacobsien ? La première chose à noter est que le style de
Juillard est plus raffiné que celui de
Benoit. Blake, Mortimer et Olrik restent proches de l'original. De plus, le titre sonne jacobsien.
Jacobs a choisi ses titres avec soin : ils ont souvent quelque chose d'énigmatique, de mystérieux, voire d'ambigu, surtout si l'on considère les titres français :
le secret de l 'Espadon, le mystère de la grande pyramide, l’énigme de l 'Atlantide, le piège diabolique, l’affaire du collier. La machination Voronov correspond bien à cette liste.
En outre, la mise en place de
la machination Voronov par
Jacobs aurait pu s'ajouter à cela. Dans la conclusion de la marque jaune, Blake exprime l'inquiétude de
Jacobs lorsqu'il dit de Septimus :
"Que sa fin tragique soit un avertissement pour tous ceux qui cherchent à détourner la science à des fins criminelles et qui menacent d'oublier que la vraie science est au service de l'humanité. Ils sont les clients du progrès et non de la vanité, de l'orgueil ou de la tyrannie d'un seul individu. Enfin, la science est importante, mais au premier plan vient ... l'être humain"
.
Le même thème apparaît dans
SOS Météores, les 3 formules du professeur Sato et, dans une moindre mesure,
le piège diabolique.
Le deuxième thème récurrent est le dégoût de
Jacobs pour le totalitarisme et la peur de la guerre qui en découle. Ce n'est pas une coïncidence si, à la fin du
secret de l'Espadon, Blake déclare : "Une fois de plus, la civilisation a gagné et nous espérons que cette fois-ci, ce sera pour de bon". Immédiatement après la Seconde Guerre mondiale,
Jacobs a mis de côté son aversion pour la guerre dans cette première histoire de Blake et Mortimer. À la fin de
l'énigme de l'Atlantide, le prince Icare transmet à Blake et Mortimer un message qui souligne à nouveau la folie de la guerre ; ce message est lié au mauvais usage de la richesse. On retrouve le même thème dans
SOS météores et
le piège diabolique.
La machination Voronov s'inscrit dans cette double thématique. Par ailleurs, l'importation de matériel extraterrestre (ici un virus) est un thème de science-fiction favori de
Jacobs également.
Ou bien est-ce le cas ?
Cependant,
la machination Voronov présente également des caractéristiques peu jacobsiennes. Les auteurs en ont fait une histoire rétro, comme dans
l'affaire Francis Blake.
Van Hamme et
Sente prétendent tous deux que
la marque Jaune est le dernier album de la série et font en sorte que leur histoire s'y intègre. Ils utilisent des personnages et des décors de cet album amélioré. Par exemple, l'inspecteur Kendall réapparaît dans
l'affaire Francis Blake et le trio enlevé par Septimus - Macomber, Calvin et Vernay - se retrouve dans
la machination Voronov au Centaur Club. Seule la barbe de Mortimer a considérablement poussé.
En revanche,
Jacobs a écrit des histoires contemporaines. Les vêtements, les décors, les voitures sont concernés. Il jouait sur des thèmes d'actualité de l'époque.
Jacobs a écrit
Le secret de l'Espadon dans les derniers jours de la Seconde Guerre mondiale. Pour
l'énigme de l'Atlantide, il s'est inspiré des soucoupes volantes (le terme OVNI était encore inconnu), qui étaient un sujet de conversation courant dans les années 1950. À l'origine,
Jacobs voulait répartir cette histoire en deux parties, la première étant largement consacrée aux soucoupes volantes. Il a finalement abandonné cette première partie parce que
Willy Vandersteen a commencé l'histoire de Suske et Wiske (trad : Bob et Bobette)
Les martiens sont là dans l'hebdomadaire Tintin. Dans les premières pages de
l’énigme de l’Atlantide, on trouve encore les grandes lignes de l'histoire.
Une autre référence à l'actualité se trouve dans
SOS météores. En effet, à la fin des années 1950, les gens chantaient dans les rues les intempéries qui seraient causées par les fusées et les essais nucléaires. Dans
les 3 formules du professeur Sato, Mortimer est cloné en tant que robot.
Jacobs a créé cette histoire à la fin des années 1960, à l'époque où l'utilisation des robots et de la technologie informatique commençait à pénétrer prudemment et à capter l'imagination.
Autres différences
Une autre différence par rapport aux albums classiques est que dans les histoires post-
Jacobs, Blake joue un rôle plus important. Le point de départ de
l' affaire Francis Blake et de
La machination Voronov est le renseignement britannique. Par cpnséquent, c'est Blake qui est au cœur de l'action. Dans la première partie de
la machination Voronov, le rôle de Blake est encore plus important que celui de Mortimer. Dans le cas de
Jacobs, Mortimer est clairement le personnage le plus important. Dans la plupart des albums, il est plus présent que Blake. Dans
le mystère de la grande pyramide (l'éditeur Blake & Mortimer parle de "mystère" au lieu de "secret" pour la réimpression), Mortimer appelle Blake en Égypte. Dans
l'énigme de l'Atlantide, Mortimer convoque Blake aux Açores.
SOS météores porte le sous-titre "
Mortimer à Paris". Dans
le piège diabolique, Blake est presque entièrement absent. Dans
les 3 formules du professeur Sato, l'action émane à nouveau de Mortimer. Ce n'est que dans
la marque Jaune que l'histoire commence par une mission de Blake. Mais c'est Mortimer qui démasquera Septimus.
L'évolution des rôles de Blake et Mortimer dans les nouvelles bandes dessinées donne une nouvelle orientation à la série. Les nouveaux auteurs semblent vouloir limiter les aventures du couple à des histoires d'espionnage. Jusqu'à présent, la série ne pouvait se définir par un genre particulier. Jacobs explorait sans cesse de nouveaux horizons dans ses récits : la guerre, l'antiquité énigmatique, le savant fou, le mythe de l'Atlantide, le voyage dans le temps, la traque des criminels, le robot-clone de l'homme.
Le rôle des femmes
Dans les nouvelles histoires, les femmes jouent un rôle prépondérant. Chez
Jacobs, une femme n'apparaît que dans un seul album, le piège diabolique : Agnès, fille du châtelain Guy de la Roche. On peut supposer que, lorsque
Jacobs conçoit une histoire à cette époque, les femmes jouent également un rôle. Après tout, il avait l'habitude d'adapter ses bandes dessinées à l'évolution de la société. Dans sa première bande dessinée,
le rayon U, qui est encore fortement influencée par Flash Gordon, une femme, Sylvia, joue un rôle de premier plan. Pour le lancement de l'hebdomadaire Tintin,
Jacobs dessine
Roland le Hardi, une histoire de chevaliers et de fées qui se déroule au Moyen-Âge, avec un héros, un méchant et ... une dame de cour. Dans la marque jaune, l'exemple le plus caractéristique est peut-être celui du bas de la planche 42, où l'on voit une femme terrifiée au premier plan, alors qu'Olrik court dans le Londres brumeux.
Olrik le maladroit
Les nouveaux auteurs de la série continuent à se battre avec la personnalité d’ Olrik , bien que celle de
Van Hamme soit plus crédible que celle de
Sente. Avec ce dernier, le super-vilain se laisse constamment mener par le bout du nez. Dans
la machination Voronov, l'intrigue est aussi parfois trop transparente. On comprend tout de suite que l'œil scrutateur dans le tableau de Staline est celui d'Olrik. Mais on ne peut guère en faire le reproche aux auteurs. C'est
Jacobs lui-même qui a ancré Olrik dans la série. Jacques Martin a fait tuer Arbaces, le méchant traditionnel de la série
Alix, dans le quatrième album .
Jacobs vide régulièrement Olrik, mais ne peut pas lâcher le personnage. À la fin du
mystère de la grande pyramide, Olrik erre dans le désert comme un fou. Exit Olrik ? Dans l'album suivant,
la marque jaune, Seplimus attrape Olrik. Dans
SOS météores, Olrik est arrêté, ce qui a pour conséquence qu'il ne joue pas dans
le piège diabolique. Dans
l'affaire du collier, il s'échappe. Curieusement,
Jacobs ne dit pas un dernier adieu à Olrik avant la fin de la deuxième partie des
3 formules du professeur Sato. Le robot samouraï détruit l'hélicoptère dans lequel il se trouve.
C'est logique ?
La série Blake et Mortimer a un rapport avec les rédacteurs en chef de l'hebdomadaire Tintin. Mortimer a été dessiné par
Jacobs d'après le portrait du premier rédacteur en chef,
Jacques van Melkenbeke (
Jacques Laudy a servi de modèle à Blake et Jacobs a dessiné Olrik d'après son propre portrait). Le dernier rédacteur en chef de l'hebdomadaire a aidé à tenir la plume de la série de bandes dessinées.
Sente fait également plusieurs références dans "
la machination Voronov". Il ne s'agit pas seulement de la présence déjà citée de Macomber, Calvin et Vernay. Dans la planche 17, le restaurant Syldave Klow de Tintin
le sceptre d'Ottokar est représenté avec le même serveur que dans cet album de Tintin.
Les deux histoires post-
Jacobs ressemblent à d'authentiques aventures de Blake et Mortimer. Elles font partie des meilleurs (ou des meilleurs médiocres) albums de ce qui apparaît actuellement sur le marché des bandes dessinées. Mais est-il judicieux de publier de nouveaux albums après la mort de
Jacobs ? Cette question, déjà posée dans la presse néerlandaise surtout après la publication de
l’affaire Francis Blake, reste posée. Quoi qu'il en soit, les nouveaux auteurs sont obligés d'essayer de se mettre à la place des personnages créés par d'autres. Pour l'éditeur Dargaud, il s'agit d'un produit de qualité auquel il accorde actuellement une grande importance. La publication de nouveaux albums présente également l'avantage que les albums Jacobs eux-mêmes restent en circulation. De nombreuses séries, dont aucun nouvel album n'est publié, meurent d'une mort lente.
Mais si Dargaud veut, pour des raisons financières, atteindre un taux de parution plus élevé, deux équipes ne suffiront probablement pas à amener Blake et Mortimer au niveau atteint par
E.P. Jacobs.
En tout cas,
la machination Voronov est bien meilleure que la série de dessins animés en bois Canadian Ellipse (commandée par des chaînes de télévision françaises et canadiennes, avec des subventions des Etats français et canadien). Dans cette série, certaines histoires ont été réécrites en profondeur. Ainsi, la demoiselle Agnès voyage avec eux dans le futur dans le Chronoscaphe. Le prince Icare devient princesse dans
l'énigme de l'Atlantide, et Mortimer se pique de spiritisme dans
l'affaire du collier. De plus, pour livrer une série télévisée de 26 épisodes, les acolytes ont ajouté de nouvelles histoires de spiritisme, d'extraterrestres, de magie... des sujets très peu jacobiens.