Ah zut, je n'avais pas vu...Thark a écrit : ↑27 sept. 2021, 15:36Cher Jyb, j'avais moi-même déjà cité du "Van Hamme dans le texte" dans un post au-dessus :(Interview de) Jean Van Hamme a écrit :Vous allez être soufflé !.../...Nous sommes en 1948. D’anciens nazis projettent un attentat à Londres et dérobent le dernier Espadon. Il rentre par la Tamise, à une date précise : le solstice de printemps, l’époque des grandes marées. Ainsi, le niveau du fleuve monte et il peut passer.
Et il jaillit devant Big Ben : ce sera la couverture !
La scène se déroulant à l'équinoxe de printemps (autour du 20 mars), et le début de l'histoire se déroulant en janvier (voir la première image de la planche 1 présentée sur le forum), la BD va donc se dérouler sur au moins deux mois.
Donc, Van Hamme a prévu le cas (de la marée qui se ressent jusque dans le coeur de Londres et qui pourrait empêcher que l'Espadon passe par le fleuve - sous la surface du fleuve, on l'a compris, et maintenant on l'a vu avec cette couverture montrant l'Espadon surgissant de la surface de la Tamise). Les grands esprits se rencontrent, car c'est une des premières réflexions que j'ai faites ici...
Eh bien, voyons la hauteur des marées à Londres... Il existe heureusement des sites qui donnent ce renseignement, y compris à l'équinoxe de printemps.
On va me rétorquer : pourquoi chercher la petite bête ? Il suffit de dire que la marée est haute ; mieux : que c'est la grande marée d'équinoxe ; et c'est bon, l'Espadon passe. Certes. Mais voilà la grande quadrature du cercle à laquelle sont confrontés tous les auteurs (de BD en l'occurrence) qui mélangent science fiction et réalité pratique dans des décors réels. Là, on a un engin volant, l'Espadon, qui peut, au cours de la même sortie, "voler" dans l'eau et voler dans les airs. Ceci est impossible dans la réalité, aucun engin semblable n'a existé jusqu'à aujourd'hui. Il faut donc partir du fait que c'est de la BD de science fiction et que tout y est envisageable techniquement. Et Jacobs l'ayant fait il y a 70 ans, ses successeurs sont obligés, s'ils reprennent le concept, de continuer de faire croire que l'Espadon fonctionne. Mon esprit cartésien m'empêche d'adhérer à ce concept, mais je suis obligé de reconnaître que de très nombreux lecteurs ne sont pas gênés du tout, au contraire.
Mais la scène se situe à Londres, ville réelle, avec ses contraintes locales :
- la marée qui fait monter et descendre le niveau du fleuve (la preuve : Van Hamme a même intégré ça dans son scénario ; donc, qu'on ne vienne pas me dire que c'est moi qui chipote : même le très grand scénariste Van Hamme a prévu le coup ! Il l'a même tellement bien prévu qu'il a choisi la période de l'année la plus favorable : l'équinoxe de printemps),
- les méandres de la Tamise (qui font que l'Espadon ne peut pas aller tout droit),
- la turbidité de l'eau du fleuve ; car, comme j'ai dit plus haut, dans un fleuve comme ça, on ne voit pas grand chose à quelques mètres devant soi ; donc, comment fait le pilote pour diriger son Espadon et pour éviter les divers écueils : méandres bien sûr (voir ci-dessus), mais aussi appontements divers qui débordent des rives pour venir "mordre" sur le fleuve, nombreux bateaux qui circulent et dont la coque s'enfonce dans l'eau de quelques mètres, etc. ? Comment le pilote sait à quel endroit très précis il doit émerger pour surgir devant le Tower Bridge (en plus, sans se ficher dans l'une des deux piles) ? On verra comment Van Hamme dans son scénario a résolu le problème.
Selon les mentions trouvables sur le Net, la hauteur de la marée à l'équinoxe du printemps atteint entre 6 et 7 mètres. Si l'Espadon doit passer dans le fleuve, c'est pour ne pas se faire voir, donc il doit évoluer à au moins un mètre sous la surface - et bien plus pour éviter les coques de tous les bateaux qui circulent. Il ne va plus rester d'espace libre pour l'Espadon... Il faut aussi prévoir un niveau de "vol" sous l'eau qui soit nettement au-dessus du fond du fleuve ; lequel fond n'est pas plan d'un bout à l'autre : il y a les alluvions, les bancs de sable, diverses petites épaves qui traînent, etc. et de toute façon, par sécurité, il faut que le pilote prévoie ce qu'on appelle en marine un "pied de pilote", c'est-à-dire une marge suffisante entre le fond du bateau et le fond d'un fleuve ou d'un canal (dans l'expression "pied de pilote", le pilote n'est pas celui d'un avion, mais celui d'un navire... Quand un navire franchit un fleuve, un canal, ou entre ou sort d'un port, un pilote, officier de marine connaissant bien les lieux, embarque pour l'occasion). Il faut tenir compte du fait - et ça, c'est la faute à Jacobs... - que l'entrée du "réacteur" de l'Espadon est juste en dessous de l'engin : cette entrée de réacteur est très proche du fond du fleuve, c'est elle qui va avaler tout ce qui se présente, y compris par exemple des morceaux de bois immergés, les poissons, la végétation, les boues, etc. Pour éviter tout ça, l'Espadon a donc intérêt à évoluer nettement au-dessus du fond. Bref, il reste finalement encore moins de place pour qu'il se glisse "entre deux eaux", c'est le cas de le dire. Je dirais même : il n'a plus de place du tout...
Puisqu'on est dans une fiction, il fallait inventer une ville, un fleuve et un pont (qui ne s'appelleraient ni Londres ni Tamise ni Tower Bridge). Surtout si le scénario conçoit un fleuve fictif suffisamment profond, on ne pourrait rien dire ni rien vérifier. Mais évidemment, si ce n'est ni Londres ni le Tower Bridge, ce sera moins évocateur, moins "soufflant" (puisque Van Hamme dit dans son interview : "Vous allez être soufflé...").
J'ajoute une autre donnée que beaucoup ignorent : dans l'estuaire de la Tamise se trouve, depuis 1944, l'épave d'un cago type Liberty ship - les Liberty ships, je ne vais pas revenir dessus, j'ai en fait des tonnes sur le topic de l'album Le cri du Moloch. Ce cargo est échoué là à la suite d'une fausse manoeuvre, et il a un double énorme problème. Premier problème : il contient (toujours au moment où j'écris ces lignes, en septembre 2021) plus d'un millier de tonnes de munitions ; personne n'ose le toucher ni le déplacer de peur que ça explose ; si vous ne me croyez pas, voyez ici : https://fr.wikipedia.org/wiki/SS_Richard_Montgomery ; c'est au point que les Anglais n'osent pas construire non loin un aéroport pour désengorger les aéroports londoniens ; car pour construire ce nouvel aéroport, il faudrait déplacer l'épave... Second problème : les navires qui fréquentent la Tamise pour aller à Londres ou en revenir doivent suivre un chenal balisé, et il ne faut surtout pas déborder de peur d'aller vers l'épave et de provoquer une catastrophe ("l'explosion non-nucléaire la plus importante de l'histoire", dit le site Wikipedia indiqué ci-dessus) ; ce chenal est là aussi pour permettre aux navires de naviguer, car, tout autour, ce sont des bancs de sable affleurant ou en eaux peu profondes. Bref, pour en revenir à nos moutons, il faut donc que l'Espadon passe lui aussi par ce chenal... sans se ficher dans l'épave du Liberty ship (l'histoire de B&M se déroule en 1948, quatre ans après l'échouage), et sans heurter la coque d'un seul bateau qui utilise le même chenal...